Orange, au bûcher !
L’orange,
fruit qui fut longtemps un symbole de Noël. Si vous vous plaignez de vos
cadeaux, on vous assène le magistral « ton grand-père n’avait qu’une
orange, et il en était très content ! » Mais je vous pose la question,
comment est-ce possible ? Je veux dire, comment la naissance du Christ
pouvait-elle être souillée par ce fruit de l’antéchrist ? L’arbre d’Éden
est le pommier, mais celui de l’Enfer n’est pas le pêcher, comme tout le monde
le pense. C’est l’oranger. Vous ne me croyez pas ? Vous verrez qu’a la fin
de ma démonstration, vous aurez changé d’avis. Pour mieux vous prouver
l’horreur de ce fruit, je vais choisir d’y confronter un individu de race
humaine dans l’un des univers les plus familiers à la majorité des lycéens :
le self. Vous êtes vous déjà retrouvé pressé dans la file d’attente d’un
self ? Généralement, l’on y devient anxieux. Parce que l’heure tourne, que
la file n’avance pas, que les personnes derrière sont pressées… C’est dans cet
état de stress que notre sujet de démonstration arrive devant le fatidique
autel des desserts. Il attrape ce qui lui tombe sous la main, à savoir la
plupart du temps : une orange. Voila, l’homme à mis le doigt dans un
engrenage infernale. Pourquoi ? Pourquoi une orange et pas un riz au lait
ou un coulis de framboise lyophilisé et mal réhydraté ? Peut-être parce
que la couleur attire l’œil, que la rotondité de ce fruit est agréable.
Peut-être que le cerveau, ivre de messages délivrés par le ministère chargé de
la santé publique et par les organismes cherchant à sauvegarder –même contre
notre gré- les nôtres est poussé à ce choix. Je m’explique : l’orange (Citrus sinensis) est un fruit, plus
précisément, un agrume, contenant la vitamine C (Acide L-ascorbique). Ça au
moins, c’est clair. Et quels sont les messages évoqués plus haut ?
« Mangez cinq fruits et légumes par jour » ; « Faites le
plein de vitamine C » ; « l’orange protège du soleil, des
cancers de la peau, des comédons et de la dipsomanie» ; etc., etc.… Un
fruit, c’est bon pour la santé (ce qui est vrai, mangez des fruits !).
Toujours est-il que notre individu se retrouve en possession d’une orange. Le
caractère démoniaque de celle-ci se traduit bien sur par sa couleur (ce n’est pas
pour rien que les roux étaient brûlés au Moyen-âge, époque que nous savons
éclairée par les raisonnements rationnels). Mais les premiers mouvements
diaboliques se manifestent dès que l’individu transporte, confiant, son plateau
vers une table formica rouge (je ne relève pas, mais notez bien). L’orange, ronde comme l’œil d’un
pendu, roule sur le plateau et cogne agressivement de toute sa brutalité les autres habitants de la plaque en plastique.
Si l’innocente assiette de verre trempé contient de la purée ou de la viande en
sauce, l’orange bondit, et atterrit au beau milieu de la pièce de vaisselle,
maculant les alentours de gerbes sombres. Le juron lâché par l’individu résonne
comme un râle d’agonie sous la voute d’une cathédrale. Le ciel ne peut donc
plus venir en aide à ce malheureux blasphémateur. Première victoire de
l’orange. Après avoir nettoyé au mieux son plateau souillé, l’individu sent une
idée s’instiller dans son esprit, bien sûr distillée par le terrible fruit.
Pourquoi ne pas caler l’orange sur le verre cylindrique placé dans le coin
supérieur droit du plateau ? Aussitôt pensé, aussitôt fait. Hélas !
Le poids de l’orange, associé aux mouvements de marche que subit le plateau
font basculer le martyre fils de silice, qui chute, et éclate sur le sol sans
autre forme de procès. La nouvelle grossièreté retentissante et le bruit du
corps disloqué du verre font converger vers l’individu regards et quolibets.
Son visage semble vouloir se fondre dans le décor, se colorant de pourpre.
Après la longue récupération de son orange, qui ayant atterri sans dommage
s’était enfuie sous la table à l’autre bout du self, l’individu s’assied avec
un soupir d’aise sur une chaise que l’orange aura préalablement rendue trempée
par un de ses facétieux congénères. L’individu se relève, se masse le crâne
–rapport au coup pris sous la table au moment de la récupération de l’orange-,
change de chaise et s’apprête à manger. L’orange posée sur la table s’enfuit de
nouveau et attend le malheureux sur un sol particulièrement sale et sous une
table particulièrement propice à la trépanation brutale. Après maint autres
péripéties, notamment des réflexions désagréables sur l’état de ses vêtements,
l’individu peut ENFIN se restaurer. Il se plonge avec délices dans une
béatitude langoureuse de salade flétrie, de viande reconstituée et de légumes
élevés sous cellophane, suivi d’un yaourt légèrement moisi. Et vient le moment
du dessert. Avec un sourire (crispé) l’individu prend l’orange dans sa paume (moite).
Il referme ses doigts dessus comme à regrets. Et l’horreur commence. Pour
amorcer l’épluchage du fruit, il saisit un couteau –tous les tranchoirs du
self, suite à un maléfice de l’orange, ont perdue toute capacité incisive. Se
croyant d’une intelligence certaine, il troque son couteau pour sa fourchette.
L’orange pousse cette dernière à se planter violemment dans la main du pauvre
supplicié. Sa fourchette, l’ami de toujours le soutenant contre vents et
marées, est devenue au contact du démoniaque fruit la fourche de Satan !
Revenant à sa coquille de solen, et changeant de main, il dérape de nouveau sur la sphère
incandescente et estropie son autre menotte (car le couteau est redevenu
tranchant spécialement pour lui). S’aidant de sa cuillère, il pratique enfin
une encoche dans le cuir de la bête. Il l’élargit, puis, combattant de toutes
ces forces ce machiavélique adversaire, il arrache un minuscule bout de peau,
trophée inestimable. Après de longs et rudes combats, l’armure luciférienne gît
à ses pieds. Le souffle rauque, notre homme constate avec horreur qu’une
deuxième peau, blanche, entoure le démon tel un linceul de fausse pureté. S’il
n’avait point d’ongle, il serait perdu, mais, miracle, il en possède encore
quelques uns. Il commence la délicate phase, dite, de l’épluchage. Des lambeaux
de voile blanche volent en tout sens, se coincent douloureusement sous les
ongles qui réclament à êtres curés toutes les quatre soixantièmes de minute. Si
certains morceaux de cet épiderme demeurent soudés à la chaire infernale
–l’arrachant en répandant son sang aux alentours-, d’autres sont fins et ne cherchent
qu’à épuiser les forces du brave guerrier et à l’inonder de nouveau de jus.
Cette seconde enveloppe enfin arrachée, il lui faut encore séparer le pervers
agrume en quartiers. Il enfonce ses doigts à l’extrémité du fruit (non sans
avoir au préalable vaincu la muraille épaisse qui la protégeait) et il bande
ses muscles pour séparer son bourreau en deux. Les chaires se déchirent de nouveau,
déversant des litres de jus poisseux. Il lui faut ensuite enlever les filaments
blancs, nerfs d’acier au cœur de l’orange satanique. L’individu tiens alors
dans sa main inondée de sang sucré un misérable fragment d’orange au trois
quarts déchiquetés. Avec félicité, il glisse cette nourriture dans sa bouche. Ses aphtes, ses morsures de joues, ses carries et ses lèvres
gercées le mettent au supplice. Ses papilles hurlent sous l’acidité inhumaine
qui les ronge. Si vous pensez que tout est –enfin- fini, c’est que vous avez oublié quelque
chose : les pépins ! Car, dans l’ultime morceau comestible (par
défaut) du fruit, il y a en moyenne quatre ou cinq pépins. Voulant les enlever,
notre courageux soldat les isole de sa langue et glisse délicatement deux doigts
dans sa bouche pour les récupérer. Ce faisant, le quartier d’orange broyé par
les consciencieuses prémolaires dégouline le long de sa main. L’Homme ouvre
alors les yeux sur le monde qui l’entoure. Ses voisins de table le regardent
étrangement, un monceau d’épluchures, tel un charnier répugnant, se dresse
devant lui et son plateau, ses vêtements, ses mains, sont noyés de jus acide,
corrosif et collant. Il remarque alors le détail qui lui arrache son ultime
blasphème, si terrible qu’il ferait s’évanouir un troupeau d’élans, car, il a
oublié de prendre des serviettes.
Et pour parachever cette démonstration, basons-nous sur des chiffres et
des lettres :
« Orange » s’écrit
en six lettres. « Diable »
aussi.
Et les lettres de ce mot sont :
·
« O »comme « Os des damnés s’entrechoquant dans le
gouffre de l’Enfer »
·
« R » comme
« Rugissement des cerbères
déambulant dans les entrailles du Tartare »
·
« A » comme
« Ange partant en fumée de part
le souffle du Malin »
·
« N » comme
« haine »
·
« G » comme
« Guttural cri poussé par
Belzébuth les soirs de lune sanglante »
·
« E » comme
« Et avec tout cela, je ne vous
ai pas encore convaincu ? »
Trikopp,
Grand Inquisiteur de sa majesté Manzana
HEHEHEHE :-)
RépondreSupprimerAdé.
Bon d'accord, mais que se passe-t-il s'il s'agit d'un pamplemousse ? Moins problématique car la sphère n'est pas parfaite (si si regardez bien). Et avec une balle de tennis ? Bon c'est vrai on a rarement l'occasion de poser sur son plateau de self une balle de tennis, mais supposons ? Que se passe-t-il au moment de l'épluchage ? Voilà cher poète, quelques idées de recherche. Bon courage
RépondreSupprimerMerci, je saurai en faire bon usage :-) .
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