Salut,

Salutations, navigateur des flux numériques. Je ne sais par quelle chaine événementielle tu ouvris cette page de mon jeune blog, mais je t'invite à t'y intéresser, aussi passagère soit ta venue. Quelques mots d’explication : j'aime la poésie, tu t'en seras douté au nom de ce blog. Mais j'aime également réfléchir, m'interroger, pousser des raisonnements alambiqués souvent dans le seul but de penser. Voila donc "Le Réflecteur Poétique". Même si tu n'aimes ni la poésie, ni réfléchir (qui sait), ni plus simplement la littérature, ne claque pas la porte de mon blog avec horreur et dégout. Je tenterai par tous les moyens d’intéresser ou tout du moins d'interpeller tout visiteur. Maintenant que je t'ai décris sommairement ce lieu, je t'invite à y passer un moment, et à y revenir. Et surtout, n'hésite pas à laisser des commentaires.


Actualités

OH OH OH !

Disparu que j'étais, depuis plus d'un an. Je vais reprendre tout ça en main.

La plupart des textes de ce blog me paraissent bien fades avec le recul, sans compter le fait qu'ils sont truffés de fautes de métrique !

Je ne sais encore ce que je vais faire. Sans doute créer un nouveau blog et repartir de zéro. D'autant que mes aspirations ont changé.

Nous verrons. S'il en est qui passent parfois ici, voyez ce message !



On Attend Godot


On Attend Godot
(recherches personnelles en vue d’une mise en scène d’En attendant Godot de Samuel Beckett)

Je vais ici vous présenter le fruit de mon travail sur En Attendant Godot dont j’ai cherché à ébaucher la mise en scène par des travaux d’analyse et de réflexions scénographiques. L’enfermement et la déconstruction sont des composants primordiaux du théâtre beckettien. Cette dimension est le cadre de nombreuses saynètes, mais il est surtout la griffe apposée sur trois grandes pièces : Oh les beaux jours, Fin de partie et En attendant Godot. Mais tandis que le metteur en scène ne rencontre pas de difficulté pour représenter la dimension carcérale des deux premières, En attendant Godot pose plus de difficultés. En effet, Winnie enterrée dans son mamelon de terre et la famille de Hamm impotente et terrée dans un huis clos sont de par la constitution même de leurs personnages inscrits dans l’immobilité. Et qui dit immobilité dit stagnation, dégradation et donc destruction. Leurs entraves physiques illustrent leur carcan spirituel constitué de la déconstruction de leurs propres personnalités. Mais dans En attendant Godot, la situation est complètement différente. Le lieu est extérieur, sans limites imposées par les didascalies. De plus, ce lieu, c’est une « Route à la campagne ». La route est un lieu de passage, de communication entre espaces. C’est un endroit où le monde bouge, circule, se meut sans jamais se répéter. Elle est faite pour être parcourue, non pour s’y arrêter. Elle est faite comme une voie que l’on ne doit pas habiter, mais suivre et abandonner. Rien dans le texte ne rapproche ce chemin d’un lieu de désolation. Nous sommes bien loin de la prison de Fin de Partie. D’autre part, les deux personnages centraux sont libres de leurs mouvements, et complets somatiquement. Ils ne sont ni paralysés comme Willie, ni amputés de leurs jambes comme Nagg et Nell. Tous deux sortent du plateau à différents moments, bien qu’ils y reviennent toujours. Pozzo et Lucky, eux, sont mobiles entre le plateau et un monde sur lequel ils sont une fenêtre. Leur arrivée situe même géographiquement le lieu de la pièce : ce sont les « terres » de Pozzo. Le lieu de jeu n’est pas inconnu, les personnages ne sont pas perdus. Pourtant, c’est une atmosphère de souffrance, d’emprisonnement et de déliquescence qui transpire de cette pièce, par ses textes et ses situations. Je me pose donc la question : comment mettre en scène En attendant Godot tout en appuyant sur cette dimension?
Sommaire

I.       Analyse des personnages

A.             Le premier duo : Vladimir et Estragon

B.             Le second duo : Pozzo et Lucky
C.             Un personnage ambigu : le garçon
D.             Godot, qui est-il ?

II.      Une fenêtre sur une circularité descendante

A.     L’enfermement

L’espace de jeu surchargé, encombré et pesant. (Utilisation possible des sons, lumières et vidéo)
Les costumes-enclaves
Un jeu en « effet jokari »
B.     L’ennui dans la répétition
Décors monotones et insipides. Musique répétitive
Costumes sobres
Un jeu de la monotonie et de la lenteur
C.     La déconstruction des personnages : une déliquescence constante de la pièce
Dégradation visible : dans le décor (paysage torturé). (Utilisation possible des sons, lumières et vidéo)
Changement ou dégradation des costumes, costumes étranges
Un jeu en affaiblissement, en perte de raison

III.    Des éléments donnés par Beckett
A.     Scènes particulières
Le monologue de Lucky, un jeu à l’image de la « danse du filet »
Le jeu des chapeaux, des chaussures, des valises : des scènes comiques.
B.     Polysémie de l’arbre
Une illustration et un objet de la destruction, de la mort.
Une symbolique de vie inhérente et originale

IV. Derniers apports à la mise en scène

ELEMENTS ANNEXES

I.                   Alain Satgé, "Mises en scènes", Samuel Beckett : En attendant Godot (1999)
II.                Beckett, Lettre à Michel Polac, janvier 1952
III.             Aquarelles personnelles : illustration de quelques passages
IV.             Iconographie de mises en scènes











I.     Analyse des personnages

Si les personnages d’En attendant Godot sont très complexes, c’est parce qu’ils sont des humains complets ou qui furent complets. En effet, il est possible de classer les personnages de la majeure partie des pièces de théâtre dans différentes catégories, car ils présentent des traits de caractères convenus (le barbon, l’amoureux, le monarque, le père…) Mais Vladimir, Estragon, Pozzo, et Lucky ne peuvent aucunement se ranger dans une telle catégorie. N’oublions pas les garçons de la fin de chacun des deux actes, qui composent un seul personnage à eux deux. Il serait inconséquent se lancer dans la mise en scène d’En attendant Godot sans avoir compris correctement les personnages, car cette pièce n’est pas une intrigue piquée d’acteurs, mais des figures cousant des répliques en un spectre d’intrigue. Beckett n’éprouvait pas le besoin de les comprendre. Il n’en voyait pas l’intérêt, et c’est pour cela qu’il ne les a pas connus. Mais moi, je désire les connaitre, afin de les comprendre. Alors commençons par le duo Vladimir-Estragon.

A.      Le premier duo : Vladimir et Estragon
Vladimir est le plus âgé du duo. De lui émane une certaine sagesse, même au cœur de l’absurdité. Il fait preuve d’autorité envers Estragon, et c’est lui qui apporte les réponses aux questions existentielles (« Allons-nous-en. / On ne peut pas. / Pourquoi ? / On attend Godot ».) Par ailleurs, lorsque l’amnésie semble frapper Estragon au début de l’acte II, lui se souvient de tous les événements de la veille. Lorsque les garçons envoyés par Godot viennent, ils s’adressent à lui. Tous ces éléments lui donnent une allure de guide, de soutien sans lequel Estragon ne pourrait pas tenir. Face à Pozzo, il reste distant et circonspect, comme ne voulant pas se risquer à côtoyer un homme pareil. Et lorsque l’idée de se pendre leur vient, c’est lui qui relève les problèmes techniques (« Gogo léger. Branche pas casser. Gogo mort. Didi lourd. Branche casser. Didi seul. »)  C’est également lui qui conserve les légumes, et qui les donne au fur et à mesure. Il apparait comme une figure paternelle et protectrice, couvant Estragon et manifestant une grande tendresse envers lui. Alors que ce dernier lui raconte comment il a été battu, il lui dit qu’il ne l’aurait « pas laissé battre », pas en se battant lui-même, mais en lui évitant de « s’exposer ». Il se place en tuteur accompagnant un homme de moindre capacités : « Non, vois-tu, Gogo, il y a des choses qui t’échappent qui ne m’échappent pas à moi. Tu dois le sentir. » Mais il est aussi sujet au doute, comme le peuvent l’être les hommes alors que s’effondrent toutes leurs certitudes (notamment lorsqu’Estragon soulève le problème de la date du rendez-vous avec Godot). C’est un personnage humain et entier, avec des traits de caractère complémentaires et réalistes, et surtout communs à tous. C’est cela qui le rend si dense et si profond. Estragon, à l’inverse, est la figure même du mineur kantien. Il a absolument besoin de Vladimir : « Reste avec moi ! » Et Vladimir en a conscience : « Quand j’y pense… depuis le temps… je me demande ce que tu serais devenu sans moi… tu ne serais plus qu’un petit tas d’ossements à l’heure qu’il est, pas d’erreur. » Mais cette dépendance n’est pas à sens unique, car Vladimir dit bien qu’ils ne peuvent plus se quitter, qu’ils ne pourraient pas survivre. Estragon ne veut pas s’embarrasser du poids de la décision. L’attente lui pèse, mais en aucun cas il ne voudrait partir. C’est là la condition humaine : nous ne faisons qu’attendre la mort sans avoir le courage (ou la folie) de sortir nous-mêmes du jeu.

B. Le deuxième duo : Pozzo et Lucky
L’autre duo intervient vers le milieu de chaque acte. Dans une lettre à Michel Polac, Beckett écrit que « ça doit être pour rompre la monotonie ». Nous nous retrouvons dans une relation maitre-valet, ou plutôt maitre-esclave, au premier abord classique. Mais c’est tout le contraire, jamais je n’ai vu une relation d’autorité aussi étrange. Car il n’y a là aucune rivalité (comme chez Molière), il n’y a qu’une haine peinée. Je distingue un passé dans lequel Lucky était encore vivant et où Pozzo l’aimait. Mais le temps à passé, et Lucky a dégénéré, s’attirant la haine de Pozzo. Mais ce n’est pas une haine pure, ce serait plutôt de la colère face à la déchéance d’un ami dont le seul responsable semble être cet ami lui-même. Touts ces insultes prennent une teinte triste. Lucky, lui, n’est pas une coquille vide. Il aime son maitre, et pleure lorsque celui-ci parle de s’en débarrasser. Selon Pozzo, s’il ne dépose pas ses bagages, c’est « pour [l]’impressionner, pour [qu’il le] garde ». Nous pensons tout d’abord que Pozzo n’est qu’un bourreau, et c’est ce que les spectateurs Vladimir et Estragon pensent aussi (« Fumier ! »). Mais après que Pozzo leur ait dit qu’il ne pouvait plus supporter Lucky, ils virent de bord et houspillent le porteur : « Comment osez-vous ? C’est honteux ! Un si bon maitre ! ». Globalement, nous finissons par nous apercevoir que Pozzo et Lucky sont enfermés dans une relation de souffrance inextricable. Ils sont dépendants l’un de l’autre, tout comme Vladimir et Estragon. À l’acte II, cette dépendance se manifeste plus clairement avec la cécité de Pozzo. Il a plus que jamais besoin de Lucky pour se guider et le servir.

C.      Un personnage ambigu : le garçon
Un personnage qui est également intéressant est celui du garçon qui apparait à la fin de chacun des actes. Il semble qu’il y ait deux garçons, car celui qui vient à l’acte II dit ne pas être venu la veille. Mais comme il tient le même discours que le premier garçon qui avait aussi dit ne pas être venu la veille, il semble que ce soit une seule et même personne. Je souhaite donc souligner ce point en utilisant le même acteur pour les deux apparitions du garçon. Si je devais l’analyser plus en profondeur, je dirais que le personnage de l’enfant est relié tout d’abord à Dieu, car c’est enfant que l’homme est le plus proche de la pureté divine. Envoyé par Godot, il lie donc sa dimension céleste à son maitre. De plus, il dit qu’il garde les chèvres, et que son frère garde les moutons. Ce dernier frère est battu par Godot, mais pas lui. C’est là une référence flagrante à l’ancien testament, avec Caïn et Abel. La question se pose donc encore une fois : qui est Godot ?

D.      Godot, qui est-il ?
Godot est celui qu’on attend. Il contient en sa propre existence (ou inexistence) la raison d’être des autres personnages. Cette attente est ponctuée d’espoir, d’incompréhension, et de crainte. Godot apparait comme fondamentalement supérieur à Vladimir et Estragon. Ils dépendent de lui. Mais, si l’on voulait lui donner une essence définie, laquelle choisir ? La première image qui me vient à l’esprit est celle de Dieu. Tout d’abord par le rapport à l’enfant analysé précédemment. Mais également parce qu’il semble occuper cette place par rapport aux deux personnages principaux qui attendent son bon vouloir, et craignent sa punition s’ils s’en vont. D’autre part, Dieu est évoqué à plusieurs reprises, notamment à travers la Bible, lorsque Vladimir raconte la crucifixion de Jésus. À la fin de l’acte II, le garçon apprend à Vladimir que Godot à une barbe. Vladimir demande : «Blonde ou… (il hésite) …ou noire ? » comme s’il avait peur de la réponse  que lui donne pourtant le garçon : « blanche ». Alors Vladimir dit« Miséricorde », parole on ne peut plus religieuse (référence au Miséricordieux, au Dimanche de Miséricorde…). Rajoutons le fait que ce qu’ils ont adressé à Godot était « une sorte de prière » et que le point de rendez-vous est devant l’arbre (celui de la connaissance ?). De plus, pèse la menace d’un châtiment de sa part si les deux hommes décidaient de partir. On peut légitimement considérer que la scène est la vie et que partir équivaut à mourir (Vladimir et Estragon parlent souvent du suicide). Et le suicide est prohibé par toutes les grandes religions. Il semble donc que tous deux soient condamnés à tirer journée sur journée jusqu'à la fin, bien que l’arrivée de Godot contienne la perspective d’un bon repas et d’une nuit au chaud. Une autre interprétation serait possible, bien que semblable. Godot ne serait rien d’autre que la mort, et le chemin est le cadre de la vie humaine. Vladimir et Estragon seraient donc en train d’attendre la mort, non pour voir Dieu, mais uniquement pour que cela cesse, leur vie. Cette vision des choses serait bien plus tragique, je préfère donc rester sur une idée d’un Godot-Dieu. Mais bien que je sache à présent qui est Godot, « je ne sais même pas, surtout pas, s’il existe. Et je ne sais pas s’ils y croient ou non, les deux qui l’attendent. » Ce sont là les paroles de Samuel Beckett.













II Une fenêtre sur une circularité descendante

A. L’enfermement
Cette pièce ne présente pas de réel début, ni de réelle fin. Ce n’est qu’une fenêtre sur une histoire qui se répète et se dégrade de plus en plus. L’aspect qui m’apparait le plus primordial est l’enfermement. Contrairement à des pièces comme Fin de partie ou Oh les beaux jours, En attendant Godot ne présente aucune enclave physique pour ses personnages, alors que leur enfermement est total. Le principal symbole de cette liberté apparente est l’espace de la pièce. En effet, Vladimir et Estragon se trouvent sur une route, en campagne. La route est par essence un lieu de passage, d’échange. Une route sert pour aller d’un point à un autre, c’est l’ouverture au monde la plus complète. Mais en y demeurant, Vladimir et Estragon introduisent une dimension illusoire se rattachant à cette notion de liberté. Bien qu’ils semblent pouvoir partir, ils ne le peuvent pas. Pour représenter cela, il m’apparait tout d’abord important de travailler l’espace de jeu. Un paysage surchargé et oppressant pourrait tout à fait plonger le spectateur d’emblée dans cette dimension carcérale. Otomar Krejca place dans la cour d’honneur du Palais des Hapes, en 1978, une scène circulaire éclairée par une lumière crue, vide hormis un arbre très fin et blanc. Cette mise en scène minimaliste crée une impression de vide autour de l’espace de jeu. Dans la mise en scène de Joël Jouanneau de 1991 au Théâtre des Amandiers, l’espace de jeu est surplombé d’une ruine de  ce qui semblait être un mur. Comme si une bombe avait creusé la scène dans une façade d’immeuble, laissant des morceaux pendre ça et là. La scène est ainsi confinée, écrasée par le haut de la cage de scène. La mise en scène de Laurie Mac Cants l’année suivante au Bloomsburg Theater présente elle une cage de scène complètement fermée. Les côtés cour et jardin sont obstrués par des murs couleur sable, et le fond de scène est bardé de nuages rougeâtres. Une scénographie de ce type isole les personnages du reste d’un monde que l’on pourrait supposer au-delà du plateau et les confine dans un microcosme inextricable. Il serait possible d’accentuer cette sensation par un dispositif sonore qui appliquerait un écho aux voix des personnages, rendant l’impression d’un enfermement dans un espace confiné (souterrain ?). Des costumes trop petits pour les acteurs sont à prévoir. L’enfermement doit être joué pour prendre toute sa force. Il n’est pas question de demander aux acteurs d’hurler comme au fond d’une oubliette, une autre forme de jeu plus subtile pourra être appliquée. Je la nommerai « jeu en jokari ». À l’instar de cette balle qui revient toujours à son point de départ, tirée par un élastique, les acteurs seront ancrés au plateau. Ils sortent, mais avec difficulté. Le jeu durant ces sorties devra se faire en souffrance, avec effort. À l’inverse, les rentrées seront très dynamique, plus que de raison. En particulier pour Pozzo et Lucky, le jeu du Jokari peut se révéler très intéressant. L’élastique sera la corde qui les relie, et Lucky le point d’ancrage. Lorsqu’il s’arrête, Pozzo est irrésistiblement attiré vers lui. Tout ce jeu devrait illustrer le fait que les personnages, bien que libres en apparence, sont limités et confinés dans le cadre de scène.

B. L’ennui dans la répétition
De l’enfermement découle l’ennui, un ennui qui est combattu par tous les moyens possibles, sans pour autant disparaitre. Une mise en scène qui voudrait appuyer sur cet aspect pourrait user d’un décor monotone et insipide, comme celui qu’utilisa Bernard Lévy en 2009 au théâtre de l’Athénée. Un décor de l’ennui est idéalement vide et dénudé. Je pense que la couleur la plus probante serait le gris, ou un blanc cassé. Il faut éviter toute analogie avec un « paradis » blanc éclatant. La musique pourra être utilisée de manière simple et répétitive. Les costumes se devront d’êtres sobres, un choix déjà largement répandu avec les complets noirs et défraichis. Un jeu basé sur l’ennui sera un véritable défi autant pour les acteurs que pour les spectateurs. Il sera nécessaire de se baser sur la lenteur des mouvements et sur leur sobriété. Un tel jeu est plutôt rare dans l’intégralité d’une pièce, car difficile pour le public. Pour ma part, je n’en ai vu de tel qu’une unique fois : dans Brume de dieu de Claude Régy, programmé cette saison au CDN d’Orléans. Mais s’il était justifié, je ne pense pas qu’il conviendrait pour En attendant Godot. Une telle mise en scène ne pourrait captiver que quelques esthètes, et ne pourrait être présentée à un large public.

C. La déconstruction des personnages : une déliquescence constante de la pièce
Malgré une répétition évidente entre les deux actes et au sein de ceux-ci, En attendant Godot ne présente pas un éternel recommencement. Les personnages ne sont pas enfermés dans une boucle sans fin, mais bien dans un mouvement cyclique descendant. Nous en prenons conscience avec les légers écarts dans les répétions et grâce à la déconstruction progressive de leurs personnalités. Le changement des chaussures abandonnées d’Estragon, la cécité brusque de Pozzo, la consommation de la dernière carotte… de nombreux éléments montre que quelque chose se perd dans le cours du temps et ne sera plus jamais retrouvé. Avant de déposer ses chaussures trop petites, Estragon dit : « Un autre viendra» pour récupérer ces chaussures. Puis il en trouve une autre paire à l’acte II en remplacement des anciennes. Qui les a déposées là ? Il est bien une présence autour des deux personnages, plusieurs même. Ils ne vivent pas en totale autarcie. Le temps à une prise dans En attendant Godot. Lucky savait danser, il savait penser agréablement, mais « maintenant il ne fait plus que ça. » Pour représenter cette dégradation, j’envisagerais un décor torturé et désolé, un paysage apocalyptique. Ce type de décors est fort usité par les metteurs en scène d’En attendant Godot, comme Philippe Adrien ou encore Joël Jouanneau qui transpose la scène dans ce qui semble être des ruines industrielles, l’arbre remplacé par un transformateur électrique éventré. Des sons cassants et angoissants pourraient trouver leur place dans une telle pièce. D’autre part, les costumes peuvent être d’une grande utilité, par exemple en les changeant entre les deux actes. Je demanderais aux acteurs de se changer avec des costumes semblables, mais plus usés et surtout plus petits, comme si des années s’étaient écoulées entre les deux actes. Pour ce qui concerne leur jeu, je l’imagine en décrescendo, en affaiblissement tout le long de l’acte I et plus souffrant encore à l’acte II.









III.  Des éléments donnés par Beckett

A.      Scènes particulières
Certaines scènes d’En attendant Godot présente un intérêt particulier. Il m’apparait nécessaire de les travailler de manière approfondie. La première d’entre elles est le monologue de Lucky, un texte décousu qui fait de Lucky le vestige d’une humanité perdue. Beckett donne dans les marges de nombreuses indications sur le jeu des différents personnages, mais il m’apparait bon de souligner certains traits. Le jeu que l’acteur doit adopter est, me semble-t-il, à l’image de la danse du filet exécutée juste avant. Lucky s’empêtre dans ce texte comme dans un filet. Son jeu doit exprimer la souffrance, ses gestes sont gourds. C’est parce qu’il ne comprend plus lui-même ses propres paroles qu’il ne peut les maitriser et qu’il est submergé. Il est primordial de se rappeler que Lucky est une carcasse presque vide, animée uniquement par le souvenir de ses bagages et par les ordres de son maitre.
Beckett n’a introduit dans cette pièce que quelques rares accessoires, mais il décrit leur utilisation de manière minutieuse. Les premiers jeux d’objet est celui d’Estragon avec ses chaussures et celui de Vladimir avec son chapeau. Tous deux ressentent une gêne de par le port de ces accessoires. C’est donc avec irritation qu’ils doivent les manipuler, de manière à déclencher le rire chez les spectateurs. De même avec le long échange de chapeaux au deuxième acte où Beckett a indiqué de nombreuses manipulations. Cette scène devra être jouée à la manière des clowns de cirque. Enfin, Lucky et ses valises pourra présenter un réel comique clownesque en se débattant avec cette surcharge de bagages.

B.      Polysémie de l’arbre
Beckett ne donne quasiment aucune indication scénographique. Il précise juste « Route à la campagne, avec arbre. » Cet arbre est le seul élément statique particulier qui apparaisse donc dans la pièce. Dans le premier acte, il est dépourvu de feuilles, mort. « On dirait un saule. / Où sont les feuilles ? / Il doit être mort. / Fini les pleurs. / A moins que ce ne soit pas la saison. / Ce ne serait pas plutôt un arbrisseau ? » Cet arbre est donc rachitique et nu. C’est tout du moins comme cela qu’il est majoritairement représenté. Une exception notable néanmoins : Joël Jouanneau qui le remplace par un transformateur électrique défoncé. Il est donc indubitablement symbole de mort. Et pourtant…
Pourtant, il porte des feuilles au deuxième acte. De ce fait, il retrouve sa symbolique classique et inhérente : celle de la vie et de la fertilité. C’est une régénération qui donne l’idée qu’une vie post-mortem et toujours possible, et qui attenu l’impression mortifère qui s’abat peu à peu sur la scène. Cet arbre est de ce fait ambigu, car il est image de mort autant que de vie.
















IV.   Derniers apports à la mise en scène
J’ai déjà développé un certain nombre d’aspects de ma mise en scène, plus particulièrement sur le jeu des acteurs. Pour ce qui est de leurs costumes, je synthétise tous mes résultats et décide ceci. Les costumes traditionnels de Vladimir et d’Estragon sont les deux costumes mités et les sempiternels chapeaux melon. Pour Pozzo, il est d’usage de le vêtir comme un lord des campagnes, et Lucky est, peu importe sa tenue, un valet avec la corde au cou. Selon Alain Stagé, les costumes doivent mettre en évidence la permutation et la circularité de la pièce. Dans Mises en scènes il se penche sur les différents choix pris par divers metteurs en scène à propos des costumes des personnages d’En attendant Godot. Pour ma part, je pense qu’il est important que ces costumes révèlent l’enclavement des personnages dans le lieu et dans leur condition « d’attendant ». C’est pourquoi je désirerai les vêtir d’une manière peut-être peu originale mais explicite. Vladimir et Estragon seraient en habits rapiécés et trop courts. Peut-être des vieux costumes, mais dépareillés ou très passés. Je voudrais que l’on retrouve chez eux la « dignité du clochard » qui les pousse à mimer l’aisance par des habits qui se veulent très distingués. Le chapeau melon est d’ailleurs un pilier de cette apparence. Pour moi, ce serait une manière de représenter toute leur condition : démunis, misérables, mais également orgueilleux et voulant sans cesse jouer un rôle. C’est également ce costume qui devra représenter leur enfermement dans ce rôle qu’ils ne peuvent quitter, bien qu’ils essaient (le mime de Pozzo et Lucky à l’acte II). Un accessoire me tient à cœur : ils porteront chacun une grosse montre-poignet, sale, abimée, mais imposante et paraissant lourde à porter. C’est là l’incarnation de leur attente. Seule différence notoire entre eux : Estragon portera un nœud papillon et Vladimir une cravate, de manière à souligner la différence de maturité entre eux. Vladimir est le plus raisonnable et le plus âgé : il met la cravate. Estragon est plus enfantin, plus dans la naïveté : ce sera le nœud paillon qui apporte une touche de douceur. Pour Pozzo, j’hésite entre un traditionnel habit de gentlemen farmer, ou alors un costume mondain avec une jaquette en queue de pie et un chapeau melon déformé pour paraitre un haut de forme. Il faut que le tout soit ridicule. Pozzo n’est pas au-dessus de Vladimir et d’Estragon par son rang, mais uniquement par son égo qui est bien plus sur-démesuré. Vladimir et Estragon ne se prennent que pour des hommes, Pozzo se prend pour un seigneur. Lucky, je le veux vêtu d’une loque indéfinissable, « inhumaine ». Lucky n’est plus humain, il ne se considère plus comme tel. Il a perdu ce qu’il avait, selon Pozzo. Seul son chapeau posé sur sa tête lui donne l’humanité qu’est l’acte de penser. Tous les chapeaux seront semblables, c’est le lien entre les personnages, somme toute, tous dans la même situation. Quand au décor, j’ai réalisé une aquarelle pour le représenter (voir annexe 4a) et 4b) ). Cet endroit c’est la « Merdecluse » ainsi que le dit Estragon. C’est-à-dire au milieu de nulle part, là d’où on ne peut partir car tout se ressemble.

Conclusion

Je n’ai rien à ajouter, et en même temps, il me reste beaucoup à dire. En attendant Godot est si vaste, si dense et si riche qu’il me faudrait plus de quinze pages pour l’analyser de manière complète. Néanmoins, cette première approche m’a permis de me familiariser encore plus avec l’une de mes pièces préférées. Ce projet ne restera pas, je pense, sur le papier. Voila déjà quelques temps que moi et mon metteur en scène Éric Belloir désirions monter cette pièce. Avec ce dossier, j’ai pu faire avancer ce projet, et nous pourrons partir sur une base plus solide que ce que nous avions jusqu’alors. Ce travail a éveillé en moi l’envie de faire plus, et je pense que je serai de nouveau amené à travailler sur cette pièce. Je me souviens d’avoir entendu un suivit radiophonique des premières représentations d’En attendant Godot. Le présentateur rapportait les paroles d’un jeune homme que l’on avait interrogé sur le sens de la pièce à la sortie, et qui avait répondu « c’est là toute la condition humaine. » Je pense que c’est la parole la plus juste que l’on puisse avoir. En effet, Vladimir et Estragon, Pozzo et Lucky, et même le garçon et Godot, tout cela n’est finalement que la projection de la condition humaine. Je me demande si, en comprenant mieux cette pièce, nous pourrions pas mieux comprendre notre existence et son but. Mais n’oublions pas, même si je n’ai pas usé de ce mot durant tout mon travail, que cette pièce vient du théâtre de l’absurde. À nous de choisir le crédit que nous lui apportons. Pour ma part, je pense que le terme d’ « absurde » est utilisé pour désigner ce que l’on ne comprend pas. Alors plutôt que de me protéger derrière un dénigrement de la profondeur d’un tel théâtre, je vais chercher à le comprendre afin de m’apercevoir qu’il n’a rien d’absurde, mais est au plus proche de la vérité.



Annexes

Annexe I : Alain Satgé, "Mises en scènes", Samuel Beckett : En attendant Godot (1999)

            Beckett ne donne aucune autre indication que celle des chapeaux melon.                                    D'où peut-être l'idée du "non-costume", qui revient plusieurs fois : Blin(1) suggère un moment que les acteurs portent leurs propres costumes ; Krejca(1) leur demande... de les fabriquer eux-mêmes.
            Ce "vide" dans les didascalies laisse au metteur en scène une marge de liberté qui a été finalement peu exploitée. On trouve peu de diversité dans le traitement des costumes : une image commune s'est vite imposée, et reproduite (silhouettes noires, et presque abstraites, costumes bourgeois défraîchis, "uniformes" de clochard).
            Le choix des costumes implique pourtant des enjeux essentiels, à commencer par la détermination de l'époque. Autant ou plus que le décor, les costumes situent la pièce dans le temps - ou hors du temps. Rares sont les metteurs en scène qui aient rompu avec l'image des "vagabonds intemporels", et opté pour l'historicisation (Jouanneau(1)).
            Les costumes déterminent aussi le système des relations entre les personnages ; ils permettent de les individualiser ou de les indifférencier, de les hiérarchiser ou de les mettre à égalité. Ici encore, on constate une tendance à l'uniformisation. A la création, Blin joue sur une forte opposition entre Pozzo(2) et les autres : le gentleman farmer porte une cravate, une culotte de cheval et des bottes. Lucky, avec sa vieille livrée rouge (qui contraste avec son maillot de corps rayé et ses pantalons trop courts), est nettement caractérisé comme domestique. Au fur et à mesure des reprises, Blin gomme ces différences : en 1978, Pozzo et Lucky sont habillés comme Vladimir et Estragon, donc "clochardisés" à leur tour.
            Dans la mise en scène de Beckett à Berlin, le traitement des costumes manifeste la volonté de mettre en valeur symétries et inversions : à l'acte I, Vladimir porte un veston noir et un pantalon rayé, Estragon un veston rayé et un pantalon noir ; c'est l'inverse à l'acte II. De même, Pozzo porte un pantalon à carreaux : on retrouve des carreaux sur la veste de Lucky... Krejca reprend et varie l'idée, en donnant l'impression que les personnages auraient échangé leurs costumes (pantalon trop large et veste trop étroite pour Estragon, l'inverse pour Vladimir). Au-delà du jeu "formel", le procédé met en lumière un thème essentiel de la pièce, celui de la permutation et de la circularité.






Annexe II : Samuel Beckett, Lettre à Michel Polac, janvier 1952
Vous me demandez mes idées sur « En attendant Godot », dont vous me faites l’honneur de donner des extraits au Club d’essai, et en même temps mes idées sur le théâtre.
            Je n’ai pas d’idées sur le théâtre. Je n’y connais rien. Je n’y vais pas. C’est admissible.
            Ce qui l’est sans doute moins, c’est d’abord, dans ces conditions, d’écrire une pièce, et ensuite, l’ayant fait, de ne pas avoir d’idées sur elle non plus.
            C’est malheureusement mon cas.
            Il n’est pas donné à tous de pouvoir passer du monde qui s’ouvre sous la page à celui des profits et pertes, et retour, imperturbable, comme entre le turbin et le Café du Commerce.
            Je ne sais pas plus sur cette pièce que celui qui arrive à la lire avec attention.
            Je ne sais pas dans quel esprit je l’ai écrite.
            Je ne sais pas plus sur les personnages que ce qu’ils disent, ce qu’ils font et ce qui leur arrive. De leur aspect j’ai dû indiquer le peu que j’ai pu entrevoir. Les chapeaux melon par exemple.
            Je ne sais pas qui est Godot. Je ne sais même pas, surtout pas, s’il existe. Et je ne sais pas s’ils y croient ou non, les deux qui l’attendent.
            Les deux autres qui passent vers la fin de chacun des deux actes, ça doit être pour rompre la monotonie.
            Tout ce que j’ai pu savoir, je l’ai montré. Ce n’est pas beaucoup. Mais ça me suffit, et largement. Je dirai même que je me serais contenté de moins.
            Quant à vouloir trouver à tout cela un sens plus large et plus élevé, à emporter après le spectacle, avec le programme et les esquimaux, je suis incapable d’en voir l’intérêt. Mais ce doit être possible.
            Je n’y suis plus et je n’y serai plus jamais. Estragon, Vladimir, Pozzo, Lucky, leur temps et leur espace, je n’ai pu les connaître un peu que très loin du besoin de comprendre. Ils vous doivent des comptes peut-être. Qu’ils se débrouillent. Sans moi. Eux et moi nous sommes quittes.


Annexe III : aquarelles 
Annexe IV : Iconographie de mises en scène

Je publierai plus tard ces aquarelles et photographies car je me trouve confronté à un problème de publication et de prise en charge des formats. Merci de votre patience



2 commentaires:

Si vous laissez un commentaire, tentez d’écrire en entier et avec un vocabulaire correct. Les fautes d’orthographes sont bien sûr tolérées car moi-même je ne suis pas à l’abri d’une hérrRoeure. Cependant, je vous prie de faire preuve de courtoisie et de ne pas user de l’anonymat pour laisser libre cours à la grossièreté.